Chrétiens d'Irak
Qaraqosh veut dire « l’oiseau noir » en langue ottomane. Aujourd’hui on utilise, de préférence, son nom antique « Baghdédé », nom assyrien vieux de trois mille ans qui veut dire « lieu de bonheur ». Les habitants de cette ville, en effet, sont une communauté heureuse comme les oiseaux, qui chantent leur histoire depuis le fin fond de l’antiquité. Ils sillonnent la plaine de Ninive, dernière capitale assyrienne au nord de la Mésopotamie, le fameux berceau biblique. Cette ville a gardé sa foi chrétienne, enracinée dans l’évangélisation de saint Thomas, l’apôtre du Christ, et deux de ses disciples, Mar Marie et Mar Addai. Malgré les multiples persécutions et invasions des Perses, Arabes, Mongoles, Turcs et enfin Américains, ils sont là, témoins de leur histoire. Depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, la population a doublé. Aujourd’hui on dénombre plus de 40 000 habitants, dont plus de 10 000 sont des réfugiés et des rescapés de la guerre. Les innombrables persécutions contre les Chrétiens ont pris leur apogée à Mossoul et à Bagdad. Qaraqosh, à l’écart des zones fanatiques, limitrophe du Kurdistan, est devenue la nouvelle « Arche de Noé » où s’abritent les Chrétiens, exilés dans leur propre pays. Le déluge des fanatiques et des fondamentalistes a forcé les Chrétiens à quitter leur berceau d’origine pour une nouvelle terre étrangère, au Kurdistan ou dans les villages chrétiens de la plaine de Ninive, dont Qaraqosh. Alors, dans cette Arche située 35 km au sud-est de Mossoul, est née une nouvelle communauté dans laquelle on prie et on chante notre épopée ensemble. Tous se respectent et partagent la joie et la misère, au-delà des frontières et appartenances confessionnelles, linguistiques ou ethniques.
Le 8 mars 2011, Jean-Yves Labat de Rossi, pétri d’aventures et de bonté, débarque dans cette « Arche Qaraqoshienne » pour orchestrer les voix à l’unisson. Il est venu pour nous dire simplement : « il faut faire entendre au monde l’histoire de votre foi par votre voix ». Sa besace n’était rien qu’une petite valise magique contenant un minuscule matériel d’enregistrement ultra sophistiqué qui pouvait même, me semble-t-il, capter le soupir des anges. Carte blanche lui a été accordée par le Conseil des évêques de Ninive pour réaliser son projet : faire chanter cette communauté chrétienne malgré les souffrances qu’elle a subi depuis deux mille ans. Une centaine de jeunes, chorales et solistes, filles, garçons, diacres, prêtres, religieux et même des évêques de différentes confessions, ont lâché leurs voix dans les micros perchés de Jean-Yves Labat de Rossi. Dansantes ou mélancoliques, ces voix, chargées de quarts de ton ou de vibratos, ont réalisé une symphonie harmonieuse dans laquelle les voix humaines s’alternent avec celles du ciel. Chanter au diapason et en glossolalie est le propre de ce superbe CD. Les langues orientales – syriaque, chaldéen, arabe et soureth - se sont réunies dans un même répertoire pour chanter leur unité dans la diversité. Vous découvrez gravés sur ce disque l’aujourd’hui de cette communauté chrétienne dont la langue est l’araméen et l’origine est mésopotamienne. Une langue araméenne que Jésus a parlé jadis, ainsi que la vierge Marie, saint Joseph, saint Thomas l’incrédule et les apôtres, et elle est encore notre langue maternelle. Avec Jean-Yves, nous avons chanté et prié à Qaraqosh le « Notre Père », "Aboune dbashmaio", et le "Hallélouyah", pour marquer notre espérance malgré la violence et l’injustice mondiale et vivre en harmonie avec « Dieu et les hommes », contre la cacophonie contemporaine.
Père Nageeb Mekhaïl o.p., supérieur des Dominicains de Mossoul - Qaraqosh, le 29 juin 2011.