Baba Scholae

En 1967, à 20 ans, Jean-Yves Labat de Rossi fonde le groupe Baba Scholae. En 1969, les musiciens enregistrent à Londres un album de rock progressif. Officiellement, cet album n’existe pas. Pourtant, le site internet « The Strange Experience of Music » n’hésite pas à considérer cet opus comme l’une des pièces maîtresses de l’année 1969, et d’espérer une édition qui ne peut donc qu'être vivement encouragée.

Les rumeurs les plus folles ont circulé sur ce groupe mené par Jean-Yves Labat de Rossi, qui deviendra Mr. Frog quelques années plus tard en traversant l’Atlantique. Le disque n’aurait été gravé qu’en trois exemplaires… Vous en conviendrez, l’aventure présentait dès le début, les prémices d’une histoire rocambolesque.

Aujourd’hui, sort enfin le disque du Baba Scholae, « 69 » ! Jean-Yves Labat de Rossi nous en explique la genèse et les innombrables péripéties. So let’s go back to the sixties…

L. T. : Comment est né le groupe ?

J.-Y. L. de R. : La première formation date de 1967. A l’époque, j’étais étudiant aux Beaux-arts à Paris, et je souhaitais pleinement vivre ma passion du Rock’n’roll. Petit à petit, au fil des rencontres, un premier groupe s’est constitué avec Jules (guitare), Pears (drums), un autre guitariste (Alain ?), un bassiste (Gérard ?) et un saxophoniste dont j’ai malheureusement oublié le nom… Notre QG était le café Bonaparte et notre lieu de répétition une cave humide de la Montagne Sainte-Geneviève. Ainsi est né le Baba Scholae…

L. T. : Premier fait d’armes ?

J-Y L. de R. : Et non des moindres, un show-case au Marquee, à Londres, un lieu mythique où les meilleurs musiciens se produisaient ! Nous avions obtenu ce concert grâce à un ami, le producteur Tommy Weber, proche de Joe Cocker, de Jimi Hendrix, des Beatles et tout proche de Charlotte Rampling (rires)… Bref, un homme « clef » pour nous qui, de surcroît, appréciait notre démarche musicale. Après quelques difficultés lors du passage en douanes à Southend, où Tommy vint me récupérer en taule (délit de « sale gueule »), nous arrivons finalement à Londres. Tout se passait bien, quand la tuile nous tomba dessus : les deux camionnettes contenant nos instruments et notre matériel de scène se font dévaliser sur un parking de Piccadilly Circus la veille du concert. Nous n’avions plus rien, et pourtant, nous ne pouvions pas laisser passer une telle occasion. Fort heureusement, des musiciens très sympathiques nous ont prêté leurs instruments. Inutile de dire que nous n’étions tout de même pas au mieux de notre forme (rires), et, pour ne rien arranger, nous passions juste après les Traffic (le premier groupe de Steve Winwood), devant un public conquis d’avance. C’était donc un peu dur pour nous, et le rêve se transformait petit à petit en cauchemar. Sur ce, nous rentrons en France, démoralisés, démotivés, et nous nous séparons. Exit la première formation du Baba Scholae !

L. T. : Mais cela ne vous arrête pas ; vous repartez à l’attaque ?

J.-Y. L. de R. : Oui, cela doit être dans mes gènes (rires). Il n’était pas question d’abandonner, d’autant plus que Jules Vigh, (guitariste incontournable) m’était resté fidèle et y croyait encore. Nous décidons donc de continuer.

L. T. : Mais il vous fallait des moyens de production ?

J.-Y. L. de R. : Bien sûr! Un jour Jules me parla d’Olivier Mosset en des termes qui m’incitèrent à faire sa connaissance. A l’époque il était à Zanzibar Productions, qui soutenait des projets underground. Je le rencontrais donc et peu de temps après, à sa demande, Jules et moi passions une audition, en studio, dans des conditions très Rock’n’roll, avec les moyens du bord : n’ayant plus d’instrument, j’utilisais en guise de guitare rythmique un violon (le seul instrument qui ne nous avait pas été volé à Londres), dont j’avais hérité d’un de mes oncles. Je regrette aujourd’hui de ne plus avoir cet enregistrement d’improvisations, dont je garde un excellent souvenir.

L. T. : Et cela a fonctionné ?

J.-Y. L. de R. : Oui ! Sur les recommandations d’Olivier Mosset, Zanzibar Productions décida de financer le Baba Scholae. Alors, je suis reparti en Angleterre (Londres et Liverpool), à la recherche de nouveaux musiciens (ceux qui apparaissent sur le disque à l’exception de Christian Piat, qui nous quitta pour des raisons de santé) pour reformer le groupe. Nous achetons du matériel, louons une maison dans la Vallée de Chevreuse et, après quelques mois de répétitions, nous sommes prêts à enregistrer. Nous le ferons à Londres, aux studios IBC, que John Holbrook venait de quitter pour se joindre au Baba Scholae.

L. T. : Tout allait donc comme sur des roulettes…

J.-Y. L. de R. : Pas tant que cela. A Londres, bis repetita, un de nos « roadies » nous a volé l’argent prévu pour l’enregistrement. Heureusement Olivier Mosset est une nouvelle fois intervenu (c’était limite) et nous avons pu finir le disque. Nous avions les masters (des acétates à l’époque), mais nous n’avons pas pu le presser faute de moyens.

L. T. : Après le disque, la tournée ?

J.-Y. L. de R. : Dernière tournée et fin du Baba Scholae ! De fortes dissensions, d’ordre personnel et musical, opposaient Woody et Alan à Jules, Steve, John et moi-même. Il devint impossible de continuer à travailler ensemble. J’ai donc pris la décision de mettre un terme à notre aventure. A ce moment là je devais être incorporé (résiliation de sursis « because » mai 68…). Ne voulant pas me soumettre, je suis reparti en Angleterre puis, de là, à Woodstock, avec ma femme enceinte, John Holbrook, deux valises et mes masters.

L. T. : Donc le disque tombe aux oubliettes ?

J.-Y. L. de R. : Pas tout de suite. Après un passage à vide, c’est en faisant écouter ces masters que j’ai pu recommencer une carrière de musicien aux USA, ce qui m’a permis de rencontrer Todd Rundgren et de devenir par la suite le synthé du groupe Utopia.

L. T. : Sur « 69 », la qualité sonore est étonnamment propre et moderne pour un disque enregistré il y a 43 ans.

J.-Y. L. de R. : John Holbrook a une façon bien à lui de répondre à cette question ; je cite : « British Studio & personnel, US tape machines, German tape and French madness ! » Plus sérieusement le son était au centre de nos préoccupations, et l’a d’ailleurs toujours été, pour John et pour moi en tout cas ! N’oubliez pas qu’avant d’être un excellent guitariste, John Holbrook est un remarquable ingénieur du son. Nous passions notre temps à imaginer des systèmes de sonorisation pour le groupe. Nous utilisions un système d’amplification de notre conception, réalisé par Van den Hul. Nous n’avions pas des Marshall ou des Sound City comme tout le monde, mais des caissons d’enceintes modulables, alimentés par de très puissants amplificateurs à tubes. Un véritable mur d’enceintes stéréophoniques derrière nous (je pense que nos « roadies » s’en souviennent encore !) : la qualité du disque, nous l’avions pratiquement sur scène.

L. T. : Quelles sont les composantes fondamentales de votre son, votre marque de fabrique ?

J.-Y. L. de R. : À l’époque, il n’y avait pas de synthétiseurs, mais nous étions de fervents adeptes du « bidouillage sonore », du traitement électronique d’un son analogique. Nous utilisions aussi beaucoup le mélotron.

L. T. : Le mélotron ?

J.-Y. L. de R. : Il s’agit d’un clavier qui fonctionne avec des bandes jouées en boucle (bandes en loop) ; c’est un peu l’ancêtre du synthétiseur avec la thérémine et les ondes Martenot.

L. T. : Vous êtes indéniablement marqué par tous les instruments à clavier. Sans donner dans la psychanalyse, serait-ce l’incessante référence à l’orgue de votre enfance ?

J.-Y. L. de R. : Vous ne croyez pas si bien dire : l’orgue m’a profondément marqué (éducation chez les frères Maristes oblige), à tel point que j’ai produit et enregistré dans les années 90 une anthologie de musique pour orgue pour Sony Classical et BMG. Pour moi, le synthétiseur, c’était la suite logique de l’orgue, lorsque l’on emprunte la voie de la musique électronique ou électro-acoustique. Le synthétiseur, c’était le « façonnage » d’un nouveau son car, sur les synthés analogiques, il fallait le créer de toute pièce : un synthé non paramétré restait en effet muet. Seul le synthétiseur m’offrait cette liberté de modeler la matière sonore. C’est ce qui a marqué le premier disque d’Utopia. Le rock progressif était une forme d’expression très ouverte, les morceaux que nous composions sortaient délibérément des sentiers battus.

L.T. : Et pourquoi ce disque ne sort-il que maintenant ?

J-Y L.de R. : Les bandes master ont été considérées comme perdues pendant plus de 40 ans, mais elles dormaient paisiblement (trop bien rangées) dans les archives de mon « partner in crime » John Holbrook, avec lequel je n’ai jamais cessé de coopérer, tant sur le plan artistique que sur celui des techniques de la prise de son. Il les a retrouvées à l’occasion d’un récent déménagement, et m’en a immédiatement fait une copie fidèle avec les moyens dont on dispose aujourd’hui, et que l’on n’aurait jamais imaginés à l’époque, même dans nos rêves les plus fous, c’est-à-dire en me gravant un CD (rires).

L. T. : Comment l’avez-vous trouvé 40 ans plus tard ?

J.-Y. L. de R. : Étonnamment frais et toujours aussi déjanté, un peu comme certains de ma connaissance… (rires). Je suis quand même étonné par l’accueil qu’il reçoit. C’est incroyable que ce disque plaise à ce point à mes petits enfants et à leur entourage. Mais que voulez-vous « Rock’n’roll is here to stay » et, croyez-moi, après avoir survécu à onze années passées à Woodstock, ce n’est pas un vain mot !

Propos recueillis par Laurent Thorin – www.audiofederation.fr

Baba Scholae

In 1967, when he was 20, Jean-Yves Labat de Rossi founded the group Baba Scholae. In 1969, in London, the musicians recorded a progressive rock album. Officially, this album does not exist. Yet, the "Strange Experience of Music" Internet site has no trouble in considering this work as one of the major productions of 1969 and hopes for an edition which can only be strongly encouraged.

The wildest rumours have circulated about this group led by Jean-Yves Labat de Rossi who was to become Mr. Frog a few years later on the other side of the Atlantic. Only three copies (acetates) of the disc where made. You will agree that, from the start, the venture had all the elements of a fantastic tale.

And now, "69", this long expected Baba Scholae album is finally released! Jean-Yves Labat de Rossi explains its birth and eventful growth. So, let’s go back to the sixties…

L. T.: How was the group formed?

J. Y. L. de R. : the first group dates from 1967. I was then a student at "Les Beaux Arts", the Fine Arts College of Paris, and I ardently desired to fulfill my passion for Rock’n’roll. Little by little, as we kept meeting, an initial group was formed with Jules (guitar), Pears (drums), another guitarist (Alain?), a bass player (Gérard ?) and a saxophonist whose name I have forgotten unfortunately. Our headquarters was the café Bonaparte and we rehearsed in a damp cellar on the Montagne Sainte-Geneviève. Thus Baba Scholae was born…

L. T. : When did you first take up arms?

J. Y. L. de R. : and not the least of contests - a show-case at the Marquee in London, a legendary location where the best musicians performed. We got this concert thanks to a friend, the producer Tommy Weber, a friend of Joe Cocker, Jimy Hendrix and very friendly with Charlotte Rampling (laughter). In short, he was a very important man for us, who also liked our music very much. After some difficulties at the customs in Southend, where Tommy came to rescue me from the clink (they did not like the look of me) we eventually arrived in London. Everything was going perfectly when tragedy struck: the two lorries carrying our instruments and stage accessories were stolen, in a car park of Piccadilly Circus, on the eve of the concert. We had lost everything and, yet, we could not let such an opportunity pass by. Luckily, some very kind musicians lent us instruments, but it goes without saying that we were not at our best (laughter). It did not improve matters when we had to perform just after Traffic (Steve Winwood’s first group) in front of an audience that was already committed to them. It was therefore rather hard for us, and our dream became a nightmare. Whereupon, we came back to France demoralised, having lost our motivation and we parted company. That’s how the first Baba Scholae ended!

L. T. : That did not stop you, you decided to fight back?

J. Y. L. de R. : Yes, it must be in my genes (laughter). I was not to give up, especially as Jules Vigh (the unavoidable guitarist) had remained very faithful to me and still believed in the project. So, we decided to continue.

L. T. : But you needed some means of production?

J. Y. L. de R. : Of course! One day, Jules spoke to me about Olivier Mosset in such terms that I decided to get to know him. At the time, he was at Zamzibar Productions, which encouraged underground projects. I met him soon after and, at his request, Jules and I went for an audition in a studio, in very Rock’n’roll conditions: left without an instrument, I used as a rhythm guitar a violin (the only instrument that had not been stolen in London) that I had inherited from one of my uncles. I regret nowadays that I no longer have this recording of improvisations of which I have very fond memories.

L. T. : And it worked?

J. Y. L. de R. : It did! On the recommendation of Olivier Mosset, Zanzibar Productions decided to finance the Baba Scholae. So I went back to England (London and Liverpool) in search of new musicians (those who appear on the record with the exception of Christian Piat who left us for health reasons) to form the group again. We rented a house in the Vallée de Chevreuse, we bought some material and, after a few months of rehearsal, we where ready to record. We did it in London, in IBC studios, which John Holbrook had just left to join the Baba Scholae.

L. T. : Therefore, everything went like clockwork…

J. Y. L. de R. : Not quite. In London, yet again, one of our roadies stole our money destined for the recording. Fortunately, Olivier Mosset intervened once more and we managed to finish the album. We had the masters (acetates at the times), but we were unable to press them, because we were short of cash.

L. T. : After the disc, came the tour?

J.-Y. L. de R. : Last tour and end of the Baba Scholae! Strong disagreements, on a personal and musical level, exvoted between Woody and Alan on one side and Jules, Steve, John and myself in the other one. We could no longer work together. So I decided to put a stop to our venture. At this time, I had been called up (my deferment was cancelled because "Mai 68"…). But I decided to take no notice. I went back to London, and then to Woodstock, with my pregnant wife, John Holbrook, two suite-cases and my masters.

L. T. : So the disc was forgotten?

J. Y. L. de R. : Not at first. After difficult times upon arrival, it was in playing these masters that I managed to start a new career as a musician in the USA, met Todd Rundgren and became the synthesizer of Utopia.

L. T. : On « 69 », the quality of sound is remarkably clean and modern for a record mage 43 years ago.

J.-Y. L. de R. : John Holbrook has a very personal way of answering (this question; I quote : « British Studio & personnel, US tape machines, German tape and French madness ! ». More seriously, the sound was our main preoccupation as it has always been for John and myself in any case! Don’t forget that before he became an excellent guitarist, John Holbrook was a remarkable sound engineer. We used to spend all our time imagining sound systems for the group. We used a system of P. A. and amplification of our thought, made by Van den Hul. We did not have Marshalls like everybody else, but our own monitoring system, fed by very powerful tube amplifiers. We had a real wall of stereophonic speakers behind us. We had just about the same sound quality on stage than on the record.

L. T. :What are the basic elements of your sound, your trademark?

J. Y. L. de R. : At the time, there were no synthesizers, but we were keen enthusiasts of "sound fiddling", of the electronic treatment of analogical sound. We also used the melotron a lot.

L. T. : The melotron?

J. Y. L. de R. : It’s a keyboard that works with tapes played in loops. It is to a certain extent the forerunner of the synthesizer, with the theremin and the « Ondes Martenot ».

L. T. : You are undeniably influenced by all keyboard instruments. Without embarking in any psychoanalysis, could it be a continuous reference to the organ of your childhood?

J. Y. L. de R. : You do not know how right you are. The organ had a lasting influence on me (after all I was educated in seminary school) to such a point that I have even produced and recorded in the 90’s an organ anthology for Sony Classical and BMG. As for me, the synthesizer was the logical successor of the organ if we follow the path of electronic and electro-acoustic music. The synthesizer is the creation of a new sound. On the analogical synthesizers, the sound had to be created: an "unpatched" synthesizer in fact stayed dumb. Only the synthesizer offered me the capacity to create and model a new sound. That is what marked the first Utopia recording. Progressive rock was a very open form of expression; the pieces that we developed were intentionally off the beaten track.

L. T. : Why is this disc coming out only now?

J. Y. L. de R. : I thought that I had lost the master tapes, so they remained forgotten for more than 40 years. They slept peacefully (well hidden) in the archives of my "partner in crime" John Holbrook, with whom I have been in constant contact on the artistic level as well as about techniques of sound recording. He found them during a recent removal and immediately made a copy with the means available today – that could never have been contemplated at the time even in our wildest dreams – in other words he made me a CD (laughter).

L. T. : What did you think of this album 40 years later?

J. Y. L. de R. : Amazingly fresh and still as crazy, I must admit, rather like some people I know (laughter). I am really amazed by the very warm welcome it is receiving. I find it incredible that my grandchildren and their friends should like it so much. But, obviously, "Rock’n’roll is here to stay" and, believe me, after having spent eleven years in Woodstock, I do not say that in vain.

Interview by Laurent Thorin – www.audiofederation.fr


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